Sensibilisés à la souffrance animale, Loïc et Anaëlle Debrabander ont créé en 2022 l’entreprise Vegskin, qui met l’accent sur des matières végétales telles que la banane comme alternative au cuir, attentive à l’impact environnemental. Inspiré par l’économie circulaire, la Blue Economy, les low tech, le couple souhaitait travailler avec des ressources à l’impact le plus bas possible en proposant des matériaux 100% végétaux, sans plastique ni pétrochimie. Loïc nous a raconté leur parcours qui est aussi une aventure éthique. Ou comment changer la matière pour (essayer de) changer le futur …
-Pouvez-vous nous raconter la genèse de Vegskin et ce qui vous a inspiré ce projet ?
-LD : Mon épouse Anaëlle est une végétarienne convaincue depuis des années et elle m’a annoncé un jour ne plus vouloir porter de matières animales … Elle était vraiment déterminée à trouver une alternative, quitte à l’imaginer. Nous étions aussi sensibles à l’économie circulaire, à la Blue Economy*. Je me suis donc penché sérieusement sur la question. Quand on sait que 90% du cuir français n’est pas produit en Europe mais dans des pays où les gens (dont beaucoup d’enfants) travaillent dans des conditions inacceptables, il est devenu difficile pour nous de continuer à cautionner cela. Paradoxalement beaucoup de matériaux d’alternative au cuir sont majoritairement issus à 90% de polyuréthane et 10% de déchets végétaux…donc on s’est dit qu’on allait fabriquer cette matière (sourire), sans plastique, ni pétrochimie. Avec des déchets de fruits notamment. On a fait les premiers essais en 2020. Au début, c’était assez catastrophique et progressivement, on a fini par s’orienter vers d’autres fruits tels que la mangue puis la banane. On a créé Vegskin en 2022.

-Pourquoi utilisez aujourd’hui principalement la banane ?
-LD : D’abord parce que la mangue est plus compliquée à sourcer et enfin parce que 90 % des bananes importées (près de 700 000 tonnes en France) transitent principalement par Dunkerque et qu’il y a 10% de pertes (soit 70 000 tonnes de déchets). Nous parvenons au sein de Vegskin à transformer près de 95% de la totalité du fruit et avons 5% de bio sourcés tels que les plastifiants naturels. On teinte avec des pigments naturels à base de végétaux. Pour certaines de nos compositions, nous utilisons un vernis à base de polyuréthane mais c’est tout. Nous avons inversé les proportions et nous sommes les seuls au monde à avoir développé de cette façon notre produit. Nous ne voulions pas être « en frontal » avec l’univers du cuir mais proposer plutôt une alternative.
-Quel type de produit fabriquez-vous ?
-LD : Avec nos matières totalement biosourcées, nous fabriquons des produits uniques qui offrent une véritable expérience sensorielle et durable … Nous travaillons pour le design intérieur, en proposant du revêtement mural (carreaux), du mobilier (luminaires), de la maroquinerie, des accessoires, des bijoux…
-Travaillez-vous avec des fournisseurs locaux ou internationaux ?
-LD : On se tourne vers plusieurs fournisseurs, mais c’est assez simple car les voies de valorisation sont faibles pour ce type de déchets. On sollicite les plus proches, au nord de Paris, dans un rayon de 150/200km…
-Comment intégrez-vous les valeurs éthiques (politique zéro déchet, démarche d’économie circulaire) dans vos pratiques ?
-LD : L’éco concept, l’engagement éthique sont au cœur de toute notre démarche. Pour la politique zéro déchet, on souhaite à terme, avec des machines plus adaptées, ne plus avoir à écarter les parties dures qui sont les difficiles à exploiter; on utilise aussi des supports en lin -en faisant travailler une entreprise locale- pour la résistance à la couture. Le défi le plus complexe à relever c’est vraiment la contrainte mécanique, nous souhaitons pouvoir prochainement investir pour supprimer cela.

-Quel est l’impact environnemental réel de cette matière par rapport au cuir traditionnel ?
-LD : Pour vous donner une idée, on divise par 10 000 la quantité d’eau nécessaire à la création d’un m2 de produit Vegskin par rapport à un m2 de cuir. Et pour 1m2 nous avons besoin de 8 à 10 kg de bananes.
-Comment le marché réagit-il à vos produits ? À quel type de clientèle vous adressez-vous ?
-LD : Le marché réagit très positivement. On vend en B to B exclusif et il y a une grosse demande de la part des grandes maisons de luxe. C’est un segment désormais incontournable pour elles… Ce qui nous a aidé notamment à nous faire connaître c’est d’avoir été lauréat d’un appel à projet environnement.
Nous sommes passés sur BFM Business, puis nous avons eu un article dans 20 mn, qui a été repris à l’international (Inde, US, Canada) et cela nous a donné une bonne visibilité médiatique.
Nous accompagnons des entreprises sur des valorisations de déchets/produits locaux.
Je crois profondément à l’adaptation des low tech** vers les industries.
-Voyez-vous une évolution des mentalités dans le secteur de la mode ou du design face à l’écoresponsabilité ?
-LD : Au début nous sentions que nous étions précurseurs mais aujourd’hui les gens sont prêts à essayer nos produits, notamment si le prix et la qualité sont équivalents. Chez Vegskin, nous nous alignons sur le prix d’un cuir français haut de gamme.
-Avez-vous mis en place des collaborations ou des produits Vegskin ?
-LD : Nous sommes en phase d’échantillons et nous allons passer rapidement en présérie.

-Quels sont vos objectifs ?
-LD : Nous allons lancer une levée de fonds fin 2025, construire un atelier de production, développer un autre type d’éco produit (ne souhaite pas en dévoiler davantage) et notre gamme de bijoux, Anaëllic, toute récente, mais qui plaît déjà beaucoup.
-Envisagez-vous de vous diversifier vers d’autres secteurs que cette alternative au cuir ?
-LD : Nous sommes de plus en plus sollicités pour concevoir des matériaux de demain, pour remplacer le bois, la brique, etc.
-Qu’est-ce qui vous motive au quotidien dans cette aventure entrepreneuriale ?
-LD : J’aime déconstruire les choses pour trouver de nouvelles voies. C’est une très belle aventure faite de résilience, de créativité, de découverte…Je me dis parfois que j’ai réussi à transformer un déchet en bijou, c’est infiniment poétique et ça me rend fier…(sourire). Aujourd’hui ma petite fille est ma première responsable qualité et déjà une très bonne commerciale ! (rire)
-Si vous deviez résumer Vegskin en une phrase ou un mot, que choisiriez-vous ?
-LD : Vegskin ou la matière végétale.
Crédit photos DR Vegskin
*La Blue Economy ou économie bleue englobe toutes les activités économiques associées aux ressources marines et aux écosystèmes aquatiques.
**Low Tech, littéralement basses technologies, désignent une catégorie de techniques durables, simples, appropriables, résilientes, proposant des objets adaptables.