Dans un monde où tout s’accélère, les métiers d’art demeurent des phares silencieux, porteurs d’une mémoire façonnée par le temps. À la tête d’Ateliers d’Art de France, Stéphane Galerneau -venu découvrir le SIMA à Liévin, pour la première fois le 10 octobre dernier- rappelle que ces savoir-faire, loin d’être figés, ont toujours su évoluer avec leur époque. Alors que plus de 6 000 créateurs, sur le territoire national, œuvrent chaque jour à préserver et réinventer ce patrimoine immatériel, leur président s’attache à défendre un secteur aussi riche que fragile, bousculé par de nouveaux enjeux : développement durable, mutations sociétales, mais aussi arrivée fulgurante de l’intelligence artificielle. Autant de défis qui, selon lui, ne menacent pas ces métiers d’exception, mais pourraient bien en redessiner les contours, voire ouvrir la voie à de nouvelles formes de création.
-Pouvez-vous rappeler votre parcours et la nature de votre fonction à Ateliers d’Art de France ?
– Stéphane Galerneau : J’ai une formation d’architecte d’intérieur, designer, j’ai travaillé en tant que directeur artistique pour notamment de grandes maisons puis j’ai monté une fonderie d’art, Créations Galant, à Nouaillé-Maupertuis, dans la Vienne en 2006, qui est toujours en activité. Je suis président depuis trois ans d’Atelier d’Art de France (mon mandat vient tout juste d’être renouvelé), un syndicat professionnel fédérant plus de 6 000 artisans et qui organise, par ailleurs, des salons.
-Quel est le rôle d’Ateliers d’Art de France ?
– SG : Ateliers d’Art de France s’occupe des métiers d’art de la création ainsi que de ceux du patrimoine et aide 250 manifestations sur le territoire français. Nous organisons des évènements internationaux tels que Maison & Objet, l’un des plus gros salons mondiaux de décoration (deux sessions en septembre et janvier), le salon Révélations, une biennale qui a lieu au Grand Palais et le Salon International du Patrimoine Culturel qui se déroule au Carrousel du Louvre chaque année fin octobre. L’idée est également de conclure des partenariats hors de France, comme nous l’avons fait pour le salon Révélations, avec la Chine, puis le Québec.

-Vous n’étiez jamais venu au SIMA, qu’attendiez-vous en venant ici ?
-SG : Je n’étais effectivement jamais venu au SIMA (sourire) même si je connais de nom et de réputation votre salon. J’ai reçu un coup de téléphone de votre président (Laurent Rigaud, Ndlr) qui m’a invité à venir vous rendre visite pour découvrir le SIMA.
L’objectif du syndicat Ateliers d’Art de France est de tout faire pour que ses adhérents gagnent leur vie en vendant leurs pièces et créations, donc ces évènements sont susceptibles de les intéresser. L’intérêt est aussi de bien connaitre les collectivités et divers établissements, mettre en œuvre et mutualiser nos réseaux. C’est cela qui fait notre force pour développer et faire grandir les métiers d’art. C’est aussi un moment de partage et je suis aussi venu découvrir le SIMA pour cela. C’est un très beau rendez-vous, une opportunité pour les artisans d’art et aussi une nouveauté puisque cette édition est inédite par le lieu (l’édition s’est déroulée pour la première fois à l’Aréna stade couvert de Liévin en 2025, Ndlr). La diversité des profils est également très intéressante tout comme la présence des élèves des écoles qui visitent le salon, mais aussi des apprentis qui réalisent des démonstrations. Tout cela apporte de la vie au salon. C’est aussi une façon de montrer ce qu’on est capable de faire, c’est un combat quotidien. Si nous parvenons à « bâtir ce pont » et montrer que nous conservons et restaurons ce patrimoine pour qu’il perdure, c’est formidable. Donc, la sensibilisation est très importante.
-Cela fait partie des défis auxquels les artisans d’art doivent faire face aujourd’hui, selon vous ?
-SG : Oui, c’est un vrai combat « syndical » (sourire), il faut sensibiliser et conserver la transmission. On a classifié ces professions en métiers « rares » ou « orphelins » car effectivement il y a beaucoup plus de monde dans les CFA, dans des filières boulangerie, charcuterie ou métiers de la restauration par exemple. En revanche la visibilité est beaucoup moins grande, notamment lorsqu’ il s’agit de gagner sa vie en étant forgeron ou même ébéniste (même si celui-ci est mieux connu…).
« Une céramique n’est pas juste un objet, c’est aussi un parcours de vie. »

-La transmission des savoir-faire figure donc en première place dans vos priorités ?
-SG : Oui, la transmission est fondamentale et c’est bien avec des évènements tels que le SIMA que nous parviendrons à faire perdurer ces métiers. On parle de savoir-faire même si nous entrons dans une ère numérique, notamment avec l’Intelligence Artificielle (IA). Nous avons des valeurs humaines à défendre avec toutes ces notions d’authenticité, de pièces non reproductibles, de talents que raconte l’artisanat d’art… Une céramique, par exemple, n’est pas juste un objet, c’est aussi un parcours de vie.
Dans métiers d’art, il y a le mot « art », avec tout ce que cela implique de détachement de la masse populaire qui le rapproche aujourd’hui davantage de l’élitisme et pourtant il y a aussi du savoir-faire derrière ce mot. C’est pour cela que tous les salons sont importants, du « petit » salon de village à des évènements internationaux d’envergure comme le salon Révélations où nous montrons des pièces d’exception et l’excellence d’un savoir-faire. C’est ce qui permet aux artisans d’art de s’ouvrir sur des marchés « export » et donc aussi, de mieux gagner leur vie.
-Comment définiriez-vous la place actuelle des métiers d’art dans la société française ?
-SG : Il y a un problème de positionnement des métiers d’art dans notre société et en même temps, un salon tel que le SIMA montre qu’il y a un savoir-faire incroyable et que c’est accessible à tous. On a vu que la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame a favorisé aussi une redécouverte de ces métiers, qui restent trop souvent dans l’ombre. Les créateurs d’aujourd’hui sont les fabricants du savoir-faire de demain. Il y a un vrai travail social et patrimonial à faire autour des métiers d’art.

– Quelle est selon vous la plus grande évolution qu’ont connu les métiers d’art ces dernières années ?
–SG : Les métiers d’art sont des couteaux suisses qui ont toujours su s’adapter à leur temps. La vraie évolution de notre secteur, selon moi, ce sont les arts décoratifs (qui fêtent leurs 100 ans), qui représentent selon moi plus qu’un style. C’est un mouvement créatif devenu international et a tout changé. On s’est mis à créer de beaux objets pour faire plaisir aux gens, avec une identité graphique qui a évolué d’année en année. Les nouvelles technologies vont peut-être révolutionner notre époque, mais à chaque période de l’histoire, on s’est adapté…regardez l’électricité, elle a constitué une formidable évolution et est finalement devenue un outil.
« Qu’est-ce qu’il peut y avoir de plus écologique que le non consommable ? »
-Les artisans d’art parviendront-ils à s’adapter à ces enjeux ?
–SG : Oui parce qu’ils ont besoin de vivre, de gagner leur vie. Cela va aussi soulager leur travail. Ce n’est pas incompatible, la machine est là pour aider. Elle permet de déléguer certaines tâches techniques tout en renforçant le rôle stratégique et créatif de l’humain. C’est là où nous devons nous positionner par rapport à la création mais aussi par rapport au travail de la main. La maîtrise d’une coulée d’émail ou le petit guillochage sur du bois peuvent être réalisés par un outil numérique. Si on fabrique une céramique en raku et que tout est parfaitement droit ça peut aussi faciliter la pose d’un carreau. En revanche, si on utilise un laser pour fabriquer un bijou, pour travailler une feuille d’argent par exemple, ce n’est plus de l’artisanat. Nous sommes obligés aussi de tenir compte de l’éco responsabilité. Pourtant, qu’est-ce qu’il peut y avoir de plus écologique que le non consommable ? Sur trois générations par exemple, avec un produit qui traverse les années, le bilan carbone est parfait. On le déploie sur 90 ans au lieu des deux ans d’un produit réalisé en série.
-Ce sont des notions qui échappent encore trop à notre société ?
–SG : Oui mais les discours marketing sont tellement forts qu’il est parfois difficile de réaliser une évidence. On parle d’écoresponsabilité lorsqu’on achète une voiture électrique aujourd’hui (sourire). Alors que cela passe par l’artisanat et des produits que nous allons conserver …

-Quels sont les grands projets ou les priorités d’Ateliers d’art de France pour les prochaines années ?
–SG : Notre salon Révélations a été créé pour être un modèle « exportable ». Pour deux raisons : pour faire découvrir des artisans français à l’autre bout du monde mais aussi -et c’est une prise de conscience par rapport à notre dernier salon qui a rassemblé 45 pays- pour faire venir des artisans, montrer comment nous nous en occupons, comment nous les référençons. Mais aussi parce que les artisans se rencontrent et découvrent également d’autres techniques. Nous sommes ainsi en négociation pour monter un salon Révélations en Amérique du Nord, à Montréal.
Revisiter les produits aux quatre coins du monde en leur donnant une autre fonction, plus esthétique, c’est aussi notre mission. Il y a aussi la rencontre des métiers d’art en région sur le territoire métropolitain. Nous devons travailler enfin sur des thématiques de valorisation des provinces françaises. Il y a un vrai travail de terrain à réaliser en dehors de Paris et c’est avec la puissance de ce réseau qu’on fera apprécier les métiers d’art et que se développera ensuite l’activité économique …
– C’est le message positif que vous souhaitez adresser aux jeunes, comme les apprentis que vous avez pu rencontrer ici ?
–SG : Il y a 57% de reconversion dans les métiers d’art aujourd’hui. Il y a des profils très différents… Oui, il faut que les jeunes soient motivés pour exercer des métiers d’art mais nous avons aussi le devoir de faire évoluer ces professions qui ne sont plus les mêmes qu’il y a 50 ans.
-Justement, comment voyez-vous évoluer cet artisanat d’art, dans 50, 100 ans ?
–SG : C’est un problème sociétal… Nous avons évoqué les machines qui prennent de plus en plus de place. Nous devons donc être très vigilants… A nous de savoir faire perdurer l’intelligence artisanale le plus longtemps possible (sourire).
Photos DR Ateliers d’Art de France/CMA HDF