Il y a 20 ans, l’Association Nationale des Professeurs de Boulangerie et la Coopérative Isigny Sainte-Mère (Cotentin) ont créé un concours visant à promouvoir le savoir-faire artisanal et l’excellence du beurre normand d’Isigny AOP, réputé pour sa saveur exceptionnelle. Chaque année, près de 200 jeunes apprentis boulangers venus de toute la France se rassemblent pour la finale nationale du Concours du Meilleur Croissant au Beurre d’Isigny A.O.P. C’est ainsi que les 5 et 6 mai 2025, deux apprentis de CMA Formation Caudry accompagnés de leur professeur Alexandre Lecuyer ont pris part à la compétition à Ifs (Calvados). A l’issue, l’enseignant ainsi qu’Alexandre Druart, qui a remporté la médaille d’or dans l’épreuve classique, ont accepté de partager leurs impressions lors d’une interview croisée.
–Alexandre Lecuyer, quel est votre parcours et depuis combien de temps enseignez-vous le métier de la boulangerie ?
-AL : J’ai toujours été attiré par ce milieu : à quatre ans j’accompagnais une amie de ma mère qui faisait des livraisons de pain et de viennoiseries (sourire)… Quand j’ai grandi, ça ne m’a pas quitté et adolescent je me suis formé au CFA de Laon, où j’ai fait un CAP, puis un BP et un BM boulangerie. Pendant les UV du BM, j’ai pris goût à expliquer aux jeunes apprentis les rudiments du métier. Je pense que vient de là mon désir de transmettre. A l’époque nous n’étions pas nombreux à avoir le BM boulangerie. Je m’entendais bien avec le responsable du CEFMA de Tourcoing, Michel Beauboucher qui m’a recommandé car la filière boulangerie cherchait quelqu’un… C’est comme ça que je suis devenu professeur de boulangerie à la CMA HDF. Ça fait trente ans (sourire). J’ai donc commencé à Tourcoing, je suis resté cinq ans puis je suis allé au CEFMA de Prouvy (aujourd’hui CMA Formation Rouvignies), où j’ai commencé en 2010 à préparer les jeunes pour des concours. Je suis arrivé à CMA Formation Caudry en 2014.

–Que pensez-vous de votre apprenti Alexandre Druart qui vient de remporter la médaille d’or au concours Le Meilleur Croissant au beurre d’Isigny ? Est-ce que sa réussite est prometteuse ?
-AL : Alexandre est quelqu’un de très motivé, consciencieux, réfléchi, méticuleux. C’est un garçon qui fait preuve de sang-froid … Il sait faire abstraction de ce qui l’entoure, c’est un avantage dans l’univers de la compétition. Cette médaille est une très belle réussite. Mais pour la suite on va attendre un peu, lui laisser le temps de souffler (rire). Parallèlement, je prépare deux autres jeunes à des compétitions, l’un va concourir aux Worldskills en octobre et l’autre participera à la sélection nationale des MAF en novembre. Il y a des pépites à la CMA HDF ! (sourire).
– Alexandre Druart, pouvez-vous présenter en quelques mots ? Est-ce que la boulangerie a toujours été une passion ?
– AD : J’ai 18 ans, j’ai toujours aimé le travail manuel, c’est un peu comme cela que je me suis dirigé vers la boulangerie. Mais il n’y a personne dans ma famille qui est dans le métier. Après le collège, j’ai préparé un CAP boulangerie en deux ans à CMA Formation Caudry puis un Certificat de Spécialisation (anciennement Mention Complémentaire) et actuellement je suis en Brevet Professionnel Boulangerie, en alternance au Fournil de l’Ostrevant à Bouchain.
-Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce concours ?
–AD : C’était un défi que j’avais envie de relever et puis je voulais aussi montrer le savoir-faire français.
– Comment s’est déroulée la préparation ensemble pour ce concours ?
-Alexandre Lecuyer : Il y a un gros travail en amont. On s’entraîne depuis début novembre et cela jusqu’en février… Il faut répéter les gestes pendant des semaines…
-Alexandre Druart : C’est un entrainement qui s’est accentué de mois en mois, pendant les cours au CFA.

– Quelles ont été les plus grandes difficultés techniques ?
-Alexandre Lecuyer : La régularité c’est le plus complexe, il faut savoir aussi bien doser le beurre pour parvenir au bon goût du produit.
-Alexandre Druart : Pour moi, le plus difficile c’est le façonnage des croissants, la régularité.
– En quoi le beurre d’Isigny change-t-il la texture ou le goût du croissant ?
-Alexandre Lecuyer : Le beurre d’Isigny c’est… l’odeur de la ferme (sourire), tout est dans le goût, la couleur… Cela participe aussi au feuilletage. Même les apprentis le voient, Isigny c’est de la qualité, du haut de gamme. On travaille avec des beurres de qualité mais moins chers dans les centres de formation, en raison du prix élevé des matières premières, c’est normal. Pour vous donner une idée, 1 kg de beurre d’Isigny c’est 15 euros au lieu de 12 euros pour un beurre classique.
-Alexandre Druart : Le beurre d’Isigny, c’est un goût exceptionnel, la souplesse aussi pour le travailler et puis ça améliore le feuilletage, ça change la forme du croissant et puis cela donne de la brillance, de la dorure au produit.

– Alexandre Druart, que ressent-on en déposant son croissant devant le jury ?
-AD : J’étais un peu tendu mais heureux de montrer aussi ce que j’avais fait.
– Alexandre Lecuyer, comment avez-vous vécu la journée du concours ? Étiez-vous stressé ?
-AL : Cela fait des années que je vis cela (sourire), j’ai l’habitude. Ma seule inquiétude c’est que les compétiteurs oublient certaines consignes, qu’ils soient déconcentrés par l’environnement. La complicité joue aussi beaucoup dans la réussite. La réciprocité. D’ailleurs j’étais touché car Alexandre m’a offert spontanément sa coupe. Je suis très fier de lui mais aussi fier pour la CMA, pour Caudry. D’ailleurs, à la suite de la finale nationale, Alexandre a gagné une formation avec un MOF de son choix qui se déplacera à CMA Formation Caudry. Tout cela participe au rayonnement de l’établissement.
– Avez-vous eu des désaccords, des moments de doute pendant la compétition ?
-Alexandre Lecuyer : Il y a toujours des moments de doute, des petites tensions mais ils sont consciencieux et ça donne de bons résultats, la preuve !
-Alexandre Druart : Oui j’ai connu de légers moments de doute mais j’ai fait abstraction de l’environnement, je me suis concentré.
– À quel moment avez-vous su qu’Alexandre Druart avait ses chances pour le podium ?
-Alexandre Lecuyer : Je savais que cela se jouerait entre lui et Florian Acart *dont je suis très fier aussi. Depuis la sélection régionale, je me doutais qu’ils seraient tous les deux bien placés.
– Quelles sont les qualités essentielles à transmettre pour réussir un croissant d’exception ?
-Alexandre Lecuyer : J’essaie de leur transmettre la motivation pour gagner et réussir aussi à réaliser un produit de qualité.
– Alexandre, quelle a été la meilleure leçon que vous a transmise votre professeur ?
Alexandre Druart : Il m’a appris la régularité pour réaliser de beaux croissants.
– Que représente cette victoire pour vous deux ?
-Alexandre Lecuyer : Une fierté collective, pour l’apprenti, mais aussi pour le CFA de Caudry. On fait rayonner l’établissement. C’est une petite structure avec des personnes de qualité, c’est bien qu’on parle du centre de formation. Et puis c’est bien sûr une fierté personnelle de les avoir accompagnés jusque là …
-Alexandre Druart : Je suis content, fier de nous.

– Quels sont vos projets maintenant ?
-Alexandre Druart : J’ai envie de me poser un peu, de réfléchir à ce que je veux faire par la suite. Peut-être refaire des concours, on verra et un jour… avoir ma boulangerie.
– Si vous deviez résumer cet exploit en quelques mots chacun ?
-Alexandre Lecuyer : C’est une aventure, un travail d’équipe basé sur la confiance mutuelle.
-Alexandre Druart : C’est une belle expérience, un « plus » et un beau challenge.
– Que diriez-vous à un futur candidat qui hésite à se lancer dans ce concours ?
-Alexandre Lecuyer : Fonce ! profites en tant qu’il y a des gens qui t’encadrent, ça aussi c’est précieux. Je vais vous raconter une anecdote : à 18 ans, j’ai été nommé meilleur jeune boulanger picard et j’étais qualifié pour aller passer un concours national à Aurillac mais à cause d’une grève de train à Paris, j’ai raté la compétition … En plus c’était mon anniversaire (rire). A l’époque on était davantage livrés à nous même alors que nous étions très jeunes, moins encadrés. J’ai compris à ce moment-là combien l’accompagnement d’un jeune apprenti est essentiel. Et c’est ce que j’essaie de faire à chaque fois…
-Alexandre Druart : Je lui dirai qu’il faut croire en soi, ne jamais se décourager.
*Florian Acart, également apprenti à CMA Formation Caudry s’est distingué en obtenant la deuxième place dans l’épreuve créative sur le thème « Se jouer des contraintes »
Crédit photos DR CMA HDF/ Isigny Sainte-Mère